Quand la justice française met en danger la vie des petites filles noires (partie II) – Briser le tabou des violences sexuelles dans la communauté afrocaribéenne

Dans la première partie, j’expliquais en quoi la décision du tribunal de Meaux d’acquitter le violeur de Justine* était un acte odieux d’injustice et de perpétuation des violences à l’encontre des femmes noires, sous couvert d’excuses racistes. Cette affaire est aussi l’occasion de comprendre ce qu’est la misogynoir, de comment elle empoisonne la vie des petites filles noires. Mais il y a un poison bien plus insidieux qui est révélé par cette histoire douloureuse : les violences sexuelles et la pédocriminalité dans la communauté afro-caribéenne.

*Le prénom de la victime a été modifié

La misogynoir, un mal qui s’installe dès l’enfance des femmes noires.

Lorsque la première partie de l’article fut publiée, je ne m’attendais pas à lire autant de commentaires surpris par l’impact du racisme et du sexisme sur les petites filles et les adolescentes noires. Peut-être que mon métier et ma propre expérience m’ont-ils permis d’en être consciente très tôt mais j’ai toujours été frappée du traitement différencié entre enfants noirs et enfants blancs.

Enseignante dans l’académie de Créteil, dans des établissements « difficiles » nommés REP, essentiellement composés d’élèves issus de quartiers paupérisés, à majorité racisés, les salles des professeurs sont, pour moi, des espaces violents où nombre de collègues expriment des jugements négatifs envers les élèves noires/africaines toujours perçues comme plus en colère, plus agressives, peu souriantes, froides, folles ou ingrates… Des remarques qui ne peuvent pas être minimisées car très souvent elles se traduisent par des discriminations concrètes : des sanctions disproportionnées, des bilans trimestriels biaisés et une orientation en BEP/CAP très fréquente. De même, les remarques sur leur taille ou encore sur les formes corporelles « impressionnantes » de certaines par rapport à leurs âges, jusqu’à l’évocation inadmissible des poitrines opulentes cachés sous les pulls, sont systématiques…

L’hypersexualisation des femmes noires précipite violemment les filles noires dans les micro-agressions à caractère sexuelle et/ou pire dans les violences sexuelles.

Dans la rue, dans l’entourage, à l’école, au sport, chez le médecin… Très tôt, les petites filles noires font face à des propos désobligeants, sur leur prétendue agressivité voire leur dangerosité : « Tu fais peur ! » ; « T’es pas commode ! » ; « T’es une sauvage ! »… Puis en grandissant, les remarques se concentrent sur nos corps, sur notre probabilité (raciale voire culturelle) d’être des « chaudasses ». En effet, combien d’entre nous n’ont pas subi le harcèlement écoeurant de mâles concupiscents dès la pré-puberté ? Sans parler des mamans et des tantines qui nous reprochent d’être trop grosses en raison de nos fesses et de nos seins trop proéminents. Je me souviens de ma mère qui m’obligeait à cacher mes seins trop voyants au point de les tapoter avec une cuillère en bois afin d’empêcher qu’ils ne poussent trop vite.

Comment s’aimer et s’accepter alors qu’on vit dans une société où la beauté et le physique d’une femme noire sont dépréciés car trop éloignés des normes blanches ? Comment ne pas douter de notre légitimité à exister telle qu’on est parce que notre corps féminin serait une invitation au sexe pour les hommes ?

L’affaire Justine permet de prendre conscience que la lutte ne passe pas que par la dénonciation mais aussi par un changement d’état d’esprit : réapprendre que les seules personnes responsables des violences sexuelles sont les agresseurs, c’est-à-dire une majorité écrasante d’hommes et qu’il est inconcevable d’en faire porter la responsabilité sur les victimes plus encore sur les filles ! Mais avant tout, il est indispensable de promouvoir une éducation basée sur le respect et l’amour de soi pour nos enfants noirs, filles ET garçons.

Dans une société aussi négrophobe, nous ne pouvons plus fuir notre responsabilité collective d’étoffer le débat de la transmission et de l’éducation bienveillante à l’amour, à la sexualité et à l’épanouissement dans une communauté tourmentée par la violence extérieure qui se traduit par la haine de soi et des siens ainsi que par des rapports dysfonctionnels entre les uns et les autres.

Briser le tabou des violences sexuelles dans la communauté afro-caribéenne

L’affaire Justine nous oblige à confronter collectivement l’une des formes de violences intracommunautaires les plus tues : celles des violences sexuelles à l’encontre des enfants et des femmes. Il n’est pas question de débattre de ses causes ou de ses origines car ces violences sexuelles sont là, bien présentes.

Dans la mouvance de #metoo et #balancetonporc, il est temps de sortir du prétendu dilemme entre lutte contre le racisme et lutte contre le patriarcat. œuvrer pour la communauté, c’est d’abord protéger les plus affaiblis par le système et plus encore protéger nos enfants, notre avenir, nos héritiers.

Nous ne pouvons plus prétexter le système pour excuser les hommes de la communauté qui faillent à leurs responsabilités. Nous ne pouvons pas crier « nous sommes des rois et des reines » et fermer les yeux sur ce qui nous empêche de progresser humainement, ensemble, dans l’amour de soi et des autres.

L’affaire Justine est un catalyseur de tous ces tabous qui freinent la communauté. Nos silences, notre négation qui entérine notre déshumanisation en affirmant qu’il n’y aurait pas de pedocriminalité chez les noirs, qu’il s’agirait d’un délire de blancs, nourrissent et renforcent ces violences sexuelles. Nous n’avons pas besoin de statistiques et d’études indigestes pour savoir à quel point elles sont très répandues. Cessons de nous mentir à nous-mêmes, nous sommes malheureusement bien trop nombreuses et nombreux à subir ces violences directement ou indirectement dans nos entourages et dans nos environnements sociaux.

Combien de temps allons-nous vivre avec cette épée de damoclès qui pèse au dessus de nos têtes ? Quand allons-nous cesser de jouer à la loterie en se disant que ça n’arrivera pas à nos enfants mais à ceux des autres ? Quand allons-nous cesser de taire les suicides, les dépressions, les grossesses non désirées et les maladies sexuellement transmises causées par les violences sexuelles ? Quand allons-nous cesser d’avilir nos cultures en affirmant que chez nous on ne parle pas de sexualité ? Quand allons-nous comprendre qu’avertir nos filles de la potentialité du viol ne suffit pas ?

« L’union dans le troupeau oblige le lion à se coucher avec la faim » (proverbe africain)

L’affaire Justine démontre à quel point nous sommes seuls, que nous ne pouvons rien attendre des autres et encore moins d’un Etat négrophobe. En revanche, il est de notre intérêt à toutes et à tous de renforcer notre communauté car elle est notre premier et principal soutien quoiqu’il arrive.

Cela implique de la mettre face à ses faiblesses et contradictions pour mieux s’empuissancer. Nous devons apprendre à discuter et solutionner les problèmes de l’intime qui ravagent la communauté : les violences sexuelles, les violences conjugales, les maladies sexuellement transmissibles et les maladies mentales.

Nous devons respecter et soutenir les personnes victimes de violences sexuelles, leur permettre d’être centrales, pour briser la force des monstres, qui s’attaquent à celles et ceux que la société ne défend jamais car ils savent qu’ils ne seront jamais inquiétés. Nous devons prendre en charge les dénonciations collectivement, pour qu’aucune victime ne voie sa vie détruite par une vendetta ignoble. Nous devons aussi éduquer nos enfants noirs à l’amour et à l’estime de soi, à savoir dire non, à écouter leurs émotions et à discuter avec les adultes en qui ils ont confiance.

Cela implique aussi de puiser dans nos ressources socio-culturelles pour promouvoir une éducation sexuelle qui se faisait dans nombreuses sociétés africaines à travers les rites de passage à l’age adulte et les sociabilités non mixtes favorisant la transmission des savoirs sur le corps, l’intimité, les relations amoureuses etc…

Pour finir cela implique une éducation antisexiste chez nos hommes de la communauté : apprendre le consentement, développer l’empathie de l’autre, casser les principes de la masculinité toxique, refuser que le respect et la dignité des femmes soient conditionnées à leur capacité à se soumettre aux hommes.

Un combat afroféministe urgent

En tant qu’afroféministe et que personne épris de justice juste, je n’accepterai jamais le verdict du tribunal de Meaux dans l’affaire Justine. Protéger nos enfants des violences engendrées par le sexisme et le racisme est URGENTE. De même que réclamer une justice totale et pleine pour tous les nôtres, par nous-mêmes est primordial pour affronter les saillies constantes du monde négrophobe dans lequel nous sur-vivons.

Suite à l’affaire Justine, le collectif afroféministe Mwasi a organisé une journée de discussion et de préparation d’actions contre les violences faites aux femmes le 25 novembre 2017. Nous attendons la date du procès en appel de l’affaire dite Justine pour annoncer la manifestation de soutien qui aura lieu afin d’exiger qu’un semblant de justice soit fait.

 

Auteur : manyyyyyyyy

Trentenaire, enseignante d'histoire-géographie, afroféministe panafricaine, je m'attèle à ce que le monde et moi cheminions vers plus de joie, de paix et d'amour.

2 réflexions sur « Quand la justice française met en danger la vie des petites filles noires (partie II) – Briser le tabou des violences sexuelles dans la communauté afrocaribéenne »

  1. Le corps de la femme noire est constemment reléguée au rang d’objet. Pour l’avoir vécu, ca a des répercussions épouvantables sur la perception de soi et sur la subjectivité d’être constemment ramenée à un regard extérieur malsain et intrusif. Et effectivement mm les proches s’y adonnent et ca commence extrêmement tôt. Dans mon cas c’était ma grande soeur qui projetait son racisme et sa misogynie internalisés.

Allez ! Tu as bien quelque chose à dire :-)

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